Comment distinguer l’œuvre collective de l’œuvre de collaboration ?

Comment qualifier une œuvre lorsque plusieurs personnes ont contribué à sa création ? Dans cette situation, qui se trouve investi des droits d’auteur ? Qui peut exploiter l’œuvre et dans quelle mesure ?

Typologie des œuvres multi-créateurs

Le Code de la propriété intellectuelle (CPI) distingue deux types d’œuvres de l’esprit dont la création est le fruit de plusieurs intervenants.

L’œuvre de collaboration est définie comme « l’œuvre à la création de laquelle ont concouru plusieurs personnes physiques. » (al. 1 de l’art. L. 113-2 du CPI).

L’œuvre collective est quant à elle définie comme « l’œuvre créée sur l’initiative d’une personne physique ou morale qui l’édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l’ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu’il soit possible d’attribuer à chacun d’eux un droit distinct sur l’ensemble réalisé. » (al. 3 de l’art. L. 113-2 du CPI).

La distinction entre ces deux types d’œuvres est parfois complexe et fait souvent l’objet de contentieux judiciaires.

Et pour cause, car les conséquences de cette qualification sont importantes :

  • Si l’œuvre est considérée comme « collective », seule la personne qui « l’édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom » sera titulaire des droits d’auteur (art. L. 113-5 du Code de la propriété intellectuelle ), à l’exclusion de chacun des intervenants ayant participé à sa création.
  • Au contraire, si l’œuvre est « de collaboration », elle sera la propriété commune de tous les coauteurs.

Un contributeur s’estimant lésé aura ainsi tout intérêt à ce que l’œuvre à la création de laquelle il a pris part soit qualifiée d’œuvre de collaboration, auquel cas il pourra par exemple revendiquer une rémunération complémentaire et/ou exploiter sa contribution de manière individuelle.

Au contraire, la société qui a dirigé la création d’une œuvre nécessitant l’intervention de divers contributeurs préférera qu’elle soit analysée comme collective, lui permettant ainsi d’exploiter de manière exclusive le fruit de son projet et produit de ses investissements.

Critères de distinction

La jurisprudence a dégagé un certain nombre de critères susceptibles de distinguer l’œuvre collective de l’œuvre de collaboration.

Seront ainsi des indices que l’œuvre est « de collaboration » :

  • la liberté de création accordée à l’auteur dont l’action n’est pas intégralement commandée par une personne qui oriente la conception de l’œuvre et dirige le projet ;
  • la facilité à isoler et individualiser la participation de chacun des coauteurs.

Participeront au contraire à la qualification d’œuvre collective :

  • l’impossibilité d’individualiser le travail des différents intervenants ;
  • l’absence d’indication du nom des contributeurs, de nature à empêcher l’identification de leur participation ;
  • les instructions données aux contributeurs par une personne qui dirige le travail de création.

Cas jurisprudentiels

TGI de Paris, 15 mars 2002 :

Œuvre : ouvrage de type « lexique » réunissant des articles signés par différents intervenants.

Qualification de l’œuvre : l’ouvrage a été qualifié d’œuvre de collaboration au motif que les contributions de chaque auteur étaient signées de leurs initiales. L’apport de chaque auteur pouvait donc être identifié. Le fait que l’un des coauteurs ait eu un rôle prépondérant (contrôle de cohérence, corrections, etc.), l’ouvrage étant d’ailleurs publié sous sa direction, étant sans conséquence. Pour le tribunal, le directeur de publication avait un rapport de collaboration et non de direction avec ses coauteurs.

Cour d’appel de Paris, 13 Avril 2018, n° 16/19805 :

Œuvres : photographies de bijoux intégrées dans un magazine.

Qualification des œuvres : la cour constate que les photographies ont été commandées au photographe et qu’aucune instruction ne lui a été donnée. Des factures créditent le photographe en qualité d’auteur de ces images. La contribution du photographe est donc identifiable et individualisable au sein du magazine. Le magazine n’est donc pas une œuvre collective.

Cour de cassation, civ. 1ère, 19 décembre 2013, 12-26.409 :

Œuvres : dessins de bijoux réalisés par un salarié du bijoutier Van Cleef & Arpels.

Qualification des œuvres : pour la Cour, il s’agit de dessin préparatoire à la conception des bijoux, laquelle procède d’un travail collectif associant de nombreuses personnes. La société employeur a un pouvoir d’initiative sur la création et contrôle son processus jusqu’au produit finalisé en fournissant des directives et instructions esthétiques afin d’harmoniser les différentes contributions fondues dans l’ensemble en vue duquel elles étaient conçues. Les dessins ne constituaient ainsi que des contributions particulières à une œuvre collective.

TGI de Lyon, 8 septembre 2016, n° 05/08070 :

Œuvre : jeu vidéo « Alone in the dark » édité par la société INFROGRAMES.

Qualification de l’œuvre : pour le Tribunal, le développeur a bénéficié d’une grande liberté de création, l’intervention de la société éditrice étant très limitée. Les protagonistes de l’élaboration du jeu témoignent d’un mode de travail « horizontal », l’œuvre étant le fruit d’une communauté inspiration. La société INFROGRAMES n’a en conséquence pas eu de rôle de direction et le travail des différentes personnes physiques intervenues (musique, scénario, etc.) a été prépondérant. De même, chacune de leurs collaborations est clairement identifiable. Le jeu vidéo litigieux est donc qualifié d’œuvre de collaboration.