L’extraction des annonces du site Leboncoin est illicite

Bref rappel du droit applicable

Le Code de la propriété intellectuelle (articles L. 341-1 et suivants) offre au « producteur d’une base de données », entendu comme celui qui réalise un « investissement substantiel » pour constituer une telle base (ainsi que pour assurer la vérification et la présentation de son contenu), une protection spécifique qui lui permet d’interdire l’extraction et/ou la réutilisation des données qui la constituent.

Lorsque « la totalité ou une partie qualitativement ou quantitativement substantielle du contenu de la base de données » :

  • est transférée sur un autre support, il y a « extraction » de la base de données ;
  • est mise à disposition du public, il y a « réutilisation » de la base de données.

Le producteur peut également interdire l’extraction ou la réutilisation répétée et systématique de parties qualitativement ou quantitativement non substantielles du contenu de la base lorsque ces opérations « excèdent manifestement les conditions d’utilisation normale de la base de données« .

Souvent méconnu des entrepreneurs de la donnée, et notamment des exploitants de sites internet, ce droit des dit « suis generis » des producteurs de bases de données est pourtant dans bien des cas un fondement juridique pertinent pour protéger ses contenus.

L’affaire décrite ci-après en est une bonne illustration.

L’affaire Leboncoin / Entreparticuliers.com

(Cour d’appel de Paris, Pôle 5 ch. 1, 2 février 2021, n°17/17688)

En 2017, la société LBC, qui exploite le site internet leboncoin.fr, a assigné la société Entreparticuliers.com, lui reprochant l’extraction des annonces immobilières mises en ligne sur son site.

Par jugement du 1er septembre 2017, le Tribunal de grande instance de Paris condamnait Entreparticuliers.com à indemniser la société LBC du préjudice subi du fait de l’atteinte constituée à son droit de producteur de bases de données.

Le Tribunal avait retenu la qualification d’extraction/réutilisation répétée et systématique de parties qualitativement ou quantitativement non substantielles du contenu de la base (dans la mesure où seules les annonces immobilières – 10% de la totalité des annonces du site – étaient concernées, et parce que le caractère « qualitativement substantiel » n’était pas démontré).

Insatisfaite de cette décision, Entreparticuliers.com a interjeté appel du jugement la condamnant.

Dans sa décision du 2 février 2021, la Cour d’appel de Paris confirme pour l’essentiel le jugement, estimant, en ce qui concerne la condition d’investissement :

  • que les investissements de la société LBC pour constituer sa base de données sont démontrés puisqu’elle justifie de dépenses à hauteur de près de 50 millions d’euros afin notamment de lancer des campagnes de promotion, de développer son trafic et donc de permettre de collecter un grand nombre d’annonces auprès des internautes, mais également pour stocker, gérer et organiser les données créées;
  • que les investissements de la société LBC liés à la vérification de données de la base sont également justifiés, notamment parce que toutes les annonces sont vérifiées au moins une fois par l’intermédiaire soit de son système d’intelligence artificielle capable de vérifier la conformité des annonces, soit de ses 26 salariés ayant des missions de modération et gestion de la fraude, soit de ses prestataires extérieurs (pour un total de 39 millions d’euros d’investissements);
  • que les investissements liés à la présentation des données sont également démontrés, LBC employant 19 salariés depuis 6 ans (pour un cout total de 1,2 million d’euros) chargés notamment de la « définition, la maintenance et l’évolution des règles de catégorisation, l’étude du parcours de l’internaute sur le site, le design et le fonctionnement par catégorie du moteur de recherche ».

A ce titre, LBC justifie bien de moyens substantiels consacrés à la constitution, la vérification et la présentation de sa base de données, et notamment de sa sous-base consacrée au domaine de l’ « immobilier ».

S’agissant ensuite des extractions/réutilisations poursuivies, la Cour d’appel de Paris retient que :

  • l’essentiel des annonces de la catégorie immobilière (« vente », « location » ou « vacances ») du site Leboncoin est reproduit sur le site Entreparticuliers.com, en ce compris les photographies et les données figurants dans chaque annonce, ce qui constitue bien une « extraction », contrairement à ce que le TGI de Paris avait retenu, peu important à ce titre qu’un lien hypertexte renvoie l’internaute à l’annonce originale sur le site Leboncoin;
  • que « la quasi-totalité des résultats de recherches effectuées en matière immobilière par l’huissier de justice sur le site entreparticuliers.com correspondent à des annonces extraites du site Leboncoin, dont sont reproduits pour chaque bien les éléments relatifs aux lieu, type de bien, prix et surface, qui sont les critères essentiels desdites annonces. »
  • qu’il avait par ailleurs été prévu, aux termes d’un contrat conclu avec la société Directannonces que la société Entreparticuliers.com recevrait « toutes les nouvelles annonces immobilières de ventes publiées par les particuliers sur toute la France (sous réserve des oppositions CNIL et BLOCTEL) sous forme de 5 mises à jour quotidiennes transmis sur flux direct vers la base de données d’Entreparticuliers (…)”;
  • qu’en conséquence, il en résulte un faisceau d’indices concordants de nature à établir l’extraction et la réutilisation d’une partie qualitativement substantielle du contenu de la sous-base de données “immobilier” de la société LBC.

La base de données prise en considération n’étant plus la base totale d’annonces, mais la seule sous-base d’annonces immobilières, la cour estime que les actes d’extraction/réutilisations commis par Entreparticuliers.com portent sur une partie substantielle de la base.

La société LBC qui invoquait un préjudice proche du million d’euros a obtenu la condamnation d’Entreparticuliers.com à lui verser les sommes de 50 000 euros en réparation de son préjudice financier, 20 000 euros en réparation de son préjudice d’image ainsi que 10 000 et 40 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile (en réparation des frais exposés par la partie gagnante en première instance, puis en appel).