Dans une décision rendue le 27 janvier 2025 (n° 20/03220), la Cour d’appel de Bordeaux a statué sur des questions complexes relatives à la propriété intellectuelle des logiciels open source. Cet arrêt apporte des éclaircissements pertinents pour l’écosystème du logiciel libre.
Contexte du litige et demandes
L’affaire opposait la société Linagora, spécialisée dans l’édition et les services de logiciels libres, à la SAS Blue Mind.
La société Linagora avait acquis en 2007 la société Aliasource, incluant le logiciel de messagerie collaborative OBM (Open Business Management) et ses modules (dont OBM-SYNC et O-PUSH). Ultérieurement, deux anciens dirigeants et actionnaires d’Aliasource, devenus cadres chez Linagora, ont quitté cette dernière pour créer la société Blue Mind.
Linagora reprochait à Blue Mind des actes de contrefaçon des modules logiciels OBM-SYNC et O-PUSH, qu’elle estimait avoir été copiés ou utilisés en violation des licences. Parallèlement, Linagora alléguait des actes de concurrence déloyale, notamment par le débauchage de plusieurs de ses salariés clés ayant travaillé sur le logiciel OBM, ainsi que des faits de parasitisme. Le jugement de première instance du Tribunal judiciaire de Bordeaux avait déjà abordé ces questions, et la Cour d’appel était saisie pour réexaminer la décision.
La protection par le droit d’auteur des logiciels Open Source
L’arrêt de la Cour d’appel de Bordeaux réaffirme d’abord le principe selon lequel un logiciel, y compris s’il est open source, est éligible à la protection par le droit d’auteur.
La Cour a précisé le critère d’originalité dans ce contexte technique. Selon la Cour, l’originalité d’un logiciel peut être établie par les « méthodes de programmation propres à son concepteur« , en précisant que si « une autre équipe de programmeurs venait développer le même projet de manière totalement indépendante, le programme qui en résulterait serait totalement différent. »
Cette définition s’inscrit dans la jurisprudence rappelée par la Cour, qui fonde l’originalité sur « des choix effectués à contre-courant de la logique informatique automatique ou contraignante, traduisant la personnalité de son auteur et les efforts intellectuels opérés. »
Contrefaçon et non-respect des licences de logiciel libre
La décision bordelaise insiste sur une spécificité fondamentale du régime des logiciels open source : l’utilisation en violation des termes de la licence libre applicable peut caractériser un acte de contrefaçon.
« l’utilisation d’un logiciel en open source en violation des termes du contrat de licence, constitue un acte de contrefaçon portant atteinte aux droits patrimoniaux d’auteur ».
Un aspect particulièrement souligné par l’arrêt est l’atteinte aux droits moraux de l’auteur. La Cour a estimé que l’effacement volontaire des mentions de paternité constitue une violation du droit moral, même pour un logiciel libre. Elle a rappelé que « le droit moral constitue ici la rétribution de l’auteur dès lors que, du fait de la nature libre de son logiciel, celui-ci renonce à toute valorisation patrimoniale de son travail ». Ces agissements, quelle que soit l’ampleur, sont considérés comme une atteinte grave à la paternité de l’œuvre.
Titularité des droits sur les logiciels développés par les salariés
L’arrêt apporte également des clarifications importantes sur la titularité des droits de propriété intellectuelle concernant les logiciels créés par des salariés. La Cour a rappelé que « le seul fait que le travail ait été réalisé par un salarié de l’entreprise durant ses heures de travail est insuffisant à justifier une dévolution des droits à l’employeur ». Pour que l’employeur soit titulaire des droits patrimoniaux, il doit être établi que le logiciel a été créé « dans l’exercice de leurs fonctions ou d’après les instructions de leur employeur« , conformément à l’article L. 113-9 du Code de la propriété intellectuelle. Dans le cas d’espèce, la Cour a estimé que cette preuve n’avait pas été rapportée par l’employeur, conduisant à ce que la titularité des droits sur un des modules soit reconnue au salarié développeur.
Concurrence déloyale et parasitisme
Enfin, la Cour d’appel s’est prononcée sur les allégations de concurrence déloyale et parasitisme. Elle a confirmé l’existence d’actes de concurrence déloyale par débauchage de salariés, considérant que le débauchage, même d’un nombre limité de personnes, peut revêtir un caractère déloyal s’il vise à désorganiser l’entreprise concurrente, notamment par la captation d’une équipe clé ayant un savoir-faire spécifique.
Toutefois, la Cour a rejeté les griefs de parasitisme par captation de savoir-faire, estimant que ces faits recouvraient ceux déjà sanctionnés au titre de la contrefaçon et de la concurrence déloyale par débauchage.
Pour retenir le parasitisme, il aurait en effet fallu démontrer des faits distincts des autres fautes déjà caractérisées. Cet arrêt souligne la nécessité d’une application rigoureuse des principes du droit d’auteur et de la concurrence dans le secteur des logiciels, y compris pour les modèles basés sur l’open source, et met en exergue l’importance de la documentation et des contrats pour sécuriser les droits de propriété intellectuelle.
Face à la complexité de ces enjeux en matière de propriété intellectuelle logicielle ou de concurrence, il apparait judicieux de solliciter l’avis de professionnels du droit pour analyser une situation spécifique et envisager les démarches appropriées.
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