Dénigrement commercial sur les réseaux sociaux : responsabilité partagée pour les influenceurs et leurs sociétés

Cour d’appel de Paris, 25 octobre 2018, n°16/19947

Dans cette affaire, la Cour d’appel de Paris a eu à statuer sur une action en dénigrement introduite par la société Le Cercle Éditions contre Cyprien I., un créateur de contenu influent sur les réseaux sociaux, et la société Webedia, à travers laquelle Cyprien exerce son activité. La société demanderesse reprochait à Cyprien et à Webedia des propos dénigrants diffusés sur Twitter, dans lesquels Cyprien s’en prenait à la photographie publiée dans un article du magazine Lov’My People, édité par Le Cercle Éditions. La cour a été amenée à examiner la nature de l’activité professionnelle de Cyprien, notamment son statut d’influenceur et la portée de ses propos, pour déterminer s’ils constituaient un dénigrement susceptible de nuire aux intérêts commerciaux de la société Le Cercle Éditions.

Les faits de l’affaire

Le litige trouve son origine dans un message publié par Cyprien sur son compte Twitter en réponse à un article du magazine Lov’My People, une publication dédiée à l’actualité des personnalités publiques. Le message de Cyprien, rédigé sous forme d’un échange avec un internaute, exprimait une critique acerbe de la photographie présente dans l’article, en des termes tels que : « C’est quoi cette merde ? Il faut vite le jeter dans le feu ». La société Le Cercle Éditions, éditrice du magazine, a estimé que ce message constituait un acte de dénigrement de son produit, en particulier en raison de son public cible sur les réseaux sociaux, et a introduit une action en justice devant le tribunal de commerce de Paris pour obtenir réparation du préjudice commercial qu’elle estimait avoir subi.

Cyprien, ainsi que la société Webedia, ont contesté l’action, soutenant que les propos en question ne dépassaient pas le cadre d’une simple critique et s’inscrivaient dans une liberté d’expression, notamment en raison de la nature informelle et spontanée de l’échange sur Twitter. Ils ont également argué que leurs propos ne constituaient pas un acte de dénigrement lié à une activité commerciale et que la critique ne portait que sur un élément marginal du contenu du magazine.

Le jugement de première instance et l’appel

Le tribunal de commerce de Paris, dans un jugement initial, a estimé qu’il n’était pas démontré que l’activité d’influenceur de Cyprien était de nature commerciale ou qu’elle relevait directement de l’activité de la société Webedia. Le tribunal a ainsi rejeté la demande de la société Le Cercle Éditions, concluant que le message en question ne constituait pas un acte de dénigrement commercial, en raison du caractère informel et personnel du propos.

Cependant, la société Le Cercle Éditions a interjeté appel de cette décision, soutenant que l’activité d’influenceur de Cyprien s’inscrivait bel et bien dans une démarche commerciale, en lien avec son statut de créateur de contenu rémunéré par des placements de produits et de la publicité sur ses réseaux sociaux. La société a également estimé que les propos de Cyprien étaient susceptibles de porter atteinte à son image et à la réputation commerciale du magazine, en dénigrant publiquement son produit.

L’analyse juridique de la Cour d’appel

La Cour d’appel de Paris a infirmé le jugement de première instance et a retenu la compétence du tribunal de commerce, considérant que l’activité de Cyprien, en tant qu’influenceur et créateur de contenu, revêtait un caractère commercial. Elle a estimé que la publication de contenus sur les réseaux sociaux par Cyprien, ainsi que sa participation à la promotion de produits, étaient indissociables d’une activité économique. Dès lors, les propos de Cyprien ont été qualifiés d’actes de dénigrement commerciaux, engageant la responsabilité de Webedia en raison de leur nature promotionnelle et commerciale.

La Cour a également relevé que même si la société Le Cercle Éditions et Cyprien ne se trouvaient pas en concurrence directe, les propos diffamants avaient pour effet de dévaloriser l’image de la publication et de créer un préjudice pour la société demanderesse. La formulation du message, jugée trop violente, excédait le cadre de la simple critique et relevait davantage du dénigrement.

Sur le préjudice et la réparation

La société Le Cercle Éditions réclamait une somme de 1.147.947 euros en réparation du préjudice matériel qu’elle estimait avoir subi en raison de l’atteinte à la réputation du magazine. Elle sollicitait également une indemnisation pour la perte de chance de conquérir un lectorat plus large et pour les investissements effectués dans la publication. La Cour d’appel a cependant jugé que la société Le Cercle Éditions n’avait pas démontré, de manière suffisante, que le message de Cyprien avait directement entraîné la cessation ou l’interruption de la publication de son magazine. En conséquence, la Cour a fixé les dommages-intérêts à 10.000 euros, une somme jugée proportionnée au préjudice effectif.

La condamnation de Cyprien et de Webedia

Cyprien et la société Webedia ont été condamnés solidairement à verser 10.000 euros de dommages et intérêts à la société Le Cercle Éditions, outre une une somme de 8.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, destiné à couvrir les frais irrépétibles de la partie demanderesse.