Deux décisions rendues en 2018 et 2023 donnent un aperçu des risques encourus par l’auteur de commentaires, messages ou avis dénigrant les produits ou services d’une entreprise.
Le dénigrement est un fondement juridique bien souvent ignoré au profit de la qualification pénale de diffamation, dont le régime est pourtant très distinct.
Faux commentaire sur la fiche d’un restaurant
Cour d’appel, Dijon, 1re chambre civile, 20 mars 2018, n° 15/02004
En 2018, la Cour d’appel de Dijon a condamné l’auteur d’un commentaire négatif publié sur la fiche du site « Pages jaunes » d’un restaurant qui n’avait pas encore ouvert ses portes.
Le 13 juillet 2013, un restaurateur faisait constater par huissier de justice le contenu d’un commentaire publié sur la fiche professionnelle et promotionnelle de son établissement sur le site internet www.pagesjaunes.fr, par un internaute anonyme.
« Surfait, appréciation globale : restaurant très surfait, tout en apparat et très peu de chose dans l’assiette. L’assiette la mieux garnie est celle de l’addition. Ce qu’il a aimé : la décoration, ce qu’il n’a pas aimé : le côté mielleux du personnel. »
En exécution d’une ordonnance sur requête rendue par le Président du tribunal de grande instance de Nanterre, la société exploitant le restaurant obtenait communication de l’adresse mail et de l’adresse IP de l’auteur du commentaire.
Elle obtenait par la suite communication de l’identité de la personne connectée sous ladite adresse IP, auprès de son fournisseur d’accès à internet.
L’auteur du commentaire était assigné et se voyait reproché d’avoir publié ce commentaire dénigrant avant même l’ouverture du restaurant puis, après suppression par le site Pages Jaunes, d’avoir remis en ligne un second commentaire de même nature.
L’auteur ayant été condamné en première instance, il a été interjeté appel du jugement.
Devant le Cour d’appel, et pour se défendre, l’auteur du commentaire invoquait une erreur d’établissement.
De son côté, le restaurateur soulignait le caractère mensonger et réitéré du commentaire, qui démontrait selon lui une intention de nuire.
Pour la cour, « ces commentaires, peu flatteurs pour un établissement portant le nom prestigieux de [X], étaient destinés à dissuader la clientèle potentielle de le fréquenter, et ils constituent un dénigrement manifeste de nature à engager la responsabilité délictuelle de leur auteur » (sur le fondement de l’ancien article 1382, désormais article 1240, du Code civil).
Elle poursuit en retenant que « les propos dénigrants publiés par Monsieur [Y]., sur un site très largement consulté par les internautes, ont porté une atteinte certaine à l’image de la société exploitant le restaurant, et, au-delà, à celle de la société [Z] qui exploite son nom, à la période cruciale de l’ouverture de l’établissement »
En conséquence, l’auteur du commentaire est condamné à indemniser le restaurateur à hauteur de 4 000 euros au titre de son préjudice financier et 1 200 euros en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile (frais irrépétibles).
Avis dénigrant d’une cliente insatisfaite
Cour d’appel de Douai, 3ème Chambre, 7 septembre 2023, RG nº 22/01342
En 2018, la cliente d’un salon de coiffure, insatisfaite de la prestation du salon, publie des commentaires sur Google et Facebook. Elle crée également deux pages Facebook exclusivement destinées à recevoir des critiques des prestations du salon.
La cliente est assignée et condamnée par un tribunal judiciaire à supprimer ses commentaires et pages et à indemniser le salon à hauteur de 7 500 euros dont 2 500 euros au titre du préjudice moral et 2 500 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.
Saisie de l’affaire en deuxième instance, la Cour d’appel de Douai confirme le jugement estimant que les propos tenus par la cliente sont dénigrants envers le salon de coiffure.
Pour la cour, les publications jettent le discrédit sur le salon, mettant en doute son professionnalisme et ses compétences pour critiquer les prestations fournies à l’occasion d’une coloration, à la fois par la présentation de sa propre expérience et par le recueil d’autres témoignages permettant de confirmer son appréciation négative de l’établissement.
Elle poursuit en relevant que ces publications ne se rapportent pas à un sujet d’intérêt général, dans des conditions permettant d’invoquer une liberté d’expression au service d’un droit à l’information par les internautes y ayant accès.
Dans une des publications en cause, la cliente indique que « le salon a raté plus d’une personne », mais également : « le gérant, je l’avais prévenu que si je n’avais pas réparation, je partagerai mon histoire, il m’a prise pour une rigolote. Il jouer avec la réputation de son entreprise aussi » et encore « non mais je ne veux plus rien obtenir à présent ‘ juste je leur rends la monnaie de leur pièce… »
Pour les juges, ce discrédit s’analyse « comme un moyen d’obtenir une réparation en exerçant une pression sur ce salon de coiffure ».
Ainsi, la cliente cherchait à se venger et à se faire justice à elle-même, dans une volonté délibérée de nuire à la réputation de l’établissement.
D’autre part, ces publications ne reposent pas sur une base factuelle suffisante et ne sont pas exprimées avec une mesure suffisante selon la cour.
Il est notamment retenu que l’expression « A FUIR » qui figure en lettres majuscules dans l’intitulé de la page Facebook ne comporte aucune nuance.
Il est enfin relevé que la cliente a multiplié les publications sur divers supports : Google, Facebook….
En conséquence, la responsabilité délictuelle de la cliente du salon est confirmée au titre d’un acte de dénigrement commis à l’encontre de la société exploitant le salon de coiffure.
Le jugement est ainsi confirmé pat la Cour d’appel de Douai.