Marques, concurrence déloyale et compétence exclusive

(Cass. com., 14 oct. 2020, n° 18-21.419)

Dans le cadre d’une action en concurrence déloyale et parasitaire, le demandeur peut faire état de la marque dont il est titulaire pour appuyer ses demandes, sans qu’il soit nécessaire que la juridiction saisie soit compétente en matière de marque.

On sait que les « actions en matière de […] marques » relèvent de la compétence exclusive de certains Tribunaux judiciaires (anciennement « Tribunaux de grande instance ») limitativement énumérés par le Code de l’organisation judiciaire (Article D211-6-1 du COJ).

La rédaction du COJ peut toutefois prêter à douter s’agissant d’actions qui ne sont pas intrinsèquement fondées sur une marque, mais qui peuvent néanmoins impliquer qu’il soit fait état d’une marque du demandeur.

Le Code de la propriété intellectuelle précise à ce titre que les actions relatives aux marques sont introduites devant les tribunaux ayant une compétence exclusive « y compris lorsqu’elles portent également sur une question connexe de concurrence déloyale » (Article L. 716-5, CPI).

Dans le cas d’espèce, deux sociétés qui fabriquent et commercialisent les nettoyeurs haute pression « KARCHER » avaient assigné une société concurrente de droit belge devant le Tribunal de commerce de Marseille.

Elles reprochaient à leur concurrente une imitation illicite de leurs produits et estimaient que la défenderesse s’était rendue coupable d’actes de concurrence déloyale et parasitaire par reprise d’éléments caractéristiques des modèles KARCHER.

KARCHER invoquait notamment la reprise par sa concurrente de la couleur jaune, caractéristique des produits de sa marque.

In limine litis, la société belge avait soulevé l’incompétence du Tribunal de commerce de Marseille.

Elle arguait que la demanderesse tentait en réalité de faire sanctionner l’atteinte à sa marque française n° 3 588 314 (marque figurative représentant la couleur jaune RAL 1018) et qu’elle cherchait à obtenir le monopole d’exploitation sur la couleur jaune.

Ce faisant, elle estimait que de telles demandes ne pouvaient être portées devant un Tribunal de commerce, incompétent en la matière.

Le Tribunal de commerce a validé cet argument, se jugeant incompétent au profit du Tribunal de grande instance de Marseille (ordonnance du 10 octobre 2017).

Saisie du recours des sociétés KARCHER, la Cour d’appel d’Aix en Provence a confirmé la décision du Tribunal de commerce, jugeant que :

  • « les demandes exclusivement fondées sur la concurrence déloyale et le parasitisme conduisent la juridiction saisie dans l’obligation d’apprécier les droits de la société KARCHER sur la couleur jaune, élément essentiel à son argumentation, qui constitue par ailleurs sa marque figurative, de sorte que les faits poursuivis au titre de la concurrence déloyale peuvent être qualifiés de contrefaçon et ne portent donc pas sur des faits distincts de l’imitation de sa marque. »
  • « [les sociétés KARCHER] font donc expressément référence à leur marque de couleur jaune et à sa fonction d’identification de leurs produits. »

(CA Aix-en-Provence, 2e ch., 7 juin 2018, n° 17/19316)

Insatisfaites de cette décision, les sociétés KARCHER se sont pourvues en cassation.

La Cour de cassation a cassé l’arrêt d’appel contesté, au motif que :

« En statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que les demandes étaient exclusivement fondées sur la concurrence déloyale et le parasitisme, ce dont il résultait que, même si les sociétés [KARCHER] faisaient état d’une marque, leurs demandes n’impliquaient aucun examen de l’existence ou de la méconnaissance d’un droit attaché à celle-ci et n’imposait nullement à la juridiction saisie de statuer sur des questions mettant en cause les règles spécifiques du droit des marques, la cour d’appel a violé le texte susvisé. »

La solution est donc claire : un tribunal de commerce ne peut se déclarer incompétent au profit d’une tribunal judiciaire (exclusivement compétent en matière de marque) dès lors qu’aucune des demandes qui lui sont soumises ne porte sur un droit attaché à une marque.
A ce titre, le seul fait pour le demandeur de faire état de la marque dont il dispose n’implique pas de statuer sur des questions mettant en cause les règles spécifiques du droit des marques.