Jeff Koons : une sculpture peut contrefaire une photographie

(Cour d’appel de Paris, 23 février 2021, n°19/09059)

En 1985, la société NAF-NAF diffusait dans plusieurs magazines de la presse féminine une publicité créée par le publicitaire Franck Dadidovici et intitulée « FAIT D’HIVER » :

En 2014, à l’occasion d’une rétrospective de l’œuvre du plasticien Jeff Koons, le Centre Pompidou exposait des œuvres de l’artiste parmi lesquelles une sculpture en faïence créée en 1988, également intitulée « Fait d’hiver »:

Estimant que cette sculpture contrefaisait le visuel dont il était l’auteur, le publicitaire assignait l’artiste et le centre Pompidou en contrefaçon de droits d’auteur.

Après une première condamnation de l’artiste et du Centre, l’affaire était portée devant la Cour d’appel de Paris en 2019.

L’arrêt du 23 février 2021 confirme pour l’essentiel le jugement rendu en première instance.

Originalité de l’œuvre

La Cour confirme d’abord que l’œuvre revendiquée est originale en raison de la combinaison d’éléments qui reflètent la personnalité de l’auteur :

  • « jeune femme allongée dans la neige, alors qu’une telle position est a priori inconfortable en raison de la sensation de froid qu’elle procure » ;
  • « représentation d’un cochon dans la neige, alors que cet animal d’élevage est habituellement représenté dans le foin, le purin ou la boue » ;
  • « ajout d’un tonnelet de Saint-Bernard autour du cou du cochon, alors que cet objet est en principe associé au chien de la race éponyme qui est souvent dressé pour effectuer des opérations de recherches en cas d’avalanche » ;
  • « positions spécifiques du corps, des mains, du visage et des cheveux de la jeune femme, ainsi que son maquillage qui traduisent, au choix du spectateur, une forme de langueur ou de détresse, faisant de la femme une victime, voire une victime consentante » ;
  • « titre ‘Fait d’hiver’, original en soi, constitué d’un jeu de mots évoquant à la fois le fait divers que constituerait l’accident survenu à l’occasion d’une avalanche, la saison dudit accident ainsi que celle de la collection vantée par la campagne » ;
  • « confrontation inhabituelle, particulièrement dans une image publicitaire, entre une élégante jeune femme et un cochon, animal réputé sale et peu connu pour se porter au secours des accidentés. »

La condition fondamentale d’originalité, impératif catégorique à la protection d’une œuvre par le droit d’auteur, est donc remplie.

Contrefaçon

S’agissant des actes de contrefaçon, la Cour d’appel adopte également le raisonnement du Tribunal dont la décision était attaquée.

Malgré des différences entre les deux créations (tenant à leur différence de nature – photographie/sculpture – et à la présence dans la sculpture d’éléments absents du visuel : pingouins, collier de fleurs, lunettes, vêtements, seins), la Cour constate que les éléments originaux de la photographie étaient repris dans la sculpture, en ce compris :

  • une jeune femme avec la même expression et la même mèche plaquée sur la joue gauche, allongée dans la neige, les bras relevés au niveau de la tête ;
  • un cochon portant un tonnelet de Saint-Bernard dans la même position, près de la jeune femme.

Les ressemblances, au regard desquelles la contrefaçon doit être appréciée, étaient ici prédominantes.

La contrefaçon était donc constituée et l’atteinte aux droits moraux et patrimoniaux de l’auteur caractérisée.

Exception de parodie

Pour sa défense, l’artiste invoquait notamment l’exception de parodie consacrée par l’article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle : « Lorsque l’œuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire : (…) 4° La parodie, le pastiche et la caricature, compte tenu des lois du genre (…) ».

La Cour d’appel rappelle les trois conditions de la parodie telles que posées par un arrêt de la CJUE de 2014 : l’œuvre seconde doit évoquer une œuvre existante, elle ne doit pas risquer d’être confondue avec elle et elle doit constituer une manifestation d’humour ou une raillerie.

Elle relève que l’artiste ne démontrait pas avoir eu l’intention « d’évoquer l’œuvre existante« , étant au surplus rappelé que la photographie était oubliée ou inconnue du public lors de l’exposition, la publicité prétendument parodiée datant de près de 30 ans au jour de ladite exposition.

La condition d’évocation n’étant pas remplie, l’exception de parodie est écartée sans qu’il soit nécessaire d’étudier les autres conditions posées par la jurisprudence.

Liberté d’expression artistique

Autre argument invoqué par Jeff Koons, celui tiré de la « liberté d’expression artistique et créatrice » fondée sur le principe de liberté d’expression consacré notamment par l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

La Cour rappelle, de manière attendue, que la liberté d’expression est nécessairement limitée par la loi et, dans le cas d’espèce, par les droits qui sont accordés à l’auteur d’une œuvre de l’esprit et qui lui permettent d’en contrôler l’exploitation et d’en tirer une contrepartie.

Le moyen est donc rejeté par la juridiction d’appel.

La Cour en profite pour rappeler que la célébrité et les intentions artistiques du plasticien ne sont pas de nature à atténuer le caractère contrefaisant de la sculpture litigieuse.

Au contraire, selon elle, Jeff Koons aurait dû « rechercher qui était l’auteur de la photographie dont il entendait s’inspirer afin d’obtenir son autorisation, le cas échant, en acquérant les droits d’exploitation ».

Préjudices de l’auteur

En conséquence, le plasticien et le Centre Pompidou sont condamnés à verser à l’auteur de la photographie :

  • 110 000 euros au titre de l’atteinte au droit de représentation de l’œuvre lors de l’exposition ;
  • 40 000 euros au titre des atteintes aux droits moraux de l’auteur (atteinte au droit au respect de l’œuvre -celle-ci ayant été modifiée- et atteinte au droit à la paternité, le nom photographe n’ayant pas été cité) ;
  • 40 000 euros au titre des atteintes aux droits patrimoniaux et moraux résultant de l’édition d’un catalogue et d’un portfolio de l’exposition.

La décision de la Cour d’appel de Paris s’inscrit dans la droite ligne de celles déjà rendues par le passé contre le plasticien, adepte de la réinterprétation d’œuvres photographiques (affaires « String of Puppies » et « Naked »).