Principe de protection
En principe, l’auteur d’une œuvre de l’esprit dispose sur sa création (dès lors qu’elle est originale) d’un droit exclusif d’exploitation qui comprend des attributs :
- patrimoniaux : droits de reproduction et de représentation (= communication au public) de l’œuvre, totale ou partielle ;
- moraux : notamment un droit au respect de l’œuvre, de son intégrité et de son esprit.
L’exception de parodie
Le Code de la propriété intellectuelle et la Directive communautaire 2001/29/CE prévoient toutefois une exception s’agissant des cas d’utilisation d’une œuvre à des fins de parodie, consacrant une sorte de droit à l’humour.
« Lorsque l’œuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire […] la parodie, le pastiche et la caricature, compte tenu des lois du genre »
CPI, art. L. 122-5, 4°, transposition de l’article 5, 2-k de la Directive 2001/29/CE
Il revient au juge de tracer la frontière entre acte de contrefaçon et exception de parodie.
Dans la plupart des cas, la parodie implique :
- un emprunt distancié : la parodie doit évoquer une œuvre préexistante en présentant des différences perceptibles avec elle. Elle doit se démarquer suffisamment de l’œuvre première pour éviter tout risque de confusion ;
- que l’intention humoristique soit clairement établie : il doit être relevé une volonté de faire rire, de moquer, de railler.
Exemples jurisprudentiels
L’affaire « Tintin » 1 (CA Paris, 18 févr. 2011, n° 09/19272) :
Un artiste qui détournait de manière humoristique les aventures de Tintin, et en particulier les couvertures des bandes dessinées de la série, a été assigné en contrefaçon de droits d’auteur par la société MOULINSART.
La Cour d’appel saisie relève que :
- « le propos parodique est d’emblée perçu à la lecture du titre et à la vue des couvertures, tous deux renseignant immédiatement sur la volonté des auteurs de travestir et de détourner les images avec le dessein de faire rire »;
- « ce dessein est poursuivi par les jeux de mot et calembours qui émaillent le texte intérieur et qui président au choix du nom et de la personnalité des personnages, démarcation parodique de ceux des personnages de la bande dessinée ».
La Cour d’appel confirme ainsi la décision attaquée, accueillant l’exception de parodie et rejetant l’action en contrefaçon.
L’affaire « Tintin » 2 (TJ Rennes, 10 mai 2021, n° 17/04478) :
L’utilisation du personnage de Tintin dans des peintures parodiques d’ambiances « hopperienne » (du peintre Edward Hopper) relève également, selon le Tribunal judiciaire de Rennes, de l’exception de parodie.
Pour le Tribunal, « l’effet humoristique est constitué par l’incongruité de la situation au regard de la sobriété sinon la tristesse habituelle des œuvres de Hopper et de l’absence de présence féminine au côté de Tintin […] cet effet invite le spectateur à imaginer une suite qui provoque le sourire ».
L’affaire « Marianne » (CA Paris, 22 déc. 2017, n° 16/20387 ; Cass. 1re civ., 22 mai 2019, n° 18-12.718)
En 2015, le journal LE POINT publie, en « Une », un montage photo reproduisant partiellement un buste de Marianne immergé. L’épouse et héritière de l’auteur de cette sculpture datée de 1968 avait alors assigné la société éditrice du POINT en contrefaçon de droit d’auteur.
Saisie de cette affaire, la Cour de cassation a approuvé la décision de la Cour d’appel de Paris qui avait retenu que le journal utilisait l’œuvre « dans le cadre d’un photomontage présentant le buste en partie immergé tendant à symboliser une noyade et à illustrer les propos, notamment le sous-titre ‘La France coule, ce n’est pas leur problème' ».
Pour les juges :
- l’œuvre n’était « pas atteinte dans son intégrité, ni dévalorisée dans la mesure où c’est la République française qui est représentée sous forme de la métaphore du buste […] en train de sombrer » ;
- de même, « force est de constater que la présentation d’un emblème de la République française, immergé tel un naufragé, constitue une illustration humoristique, indépendamment des propos eux-mêmes et de leur sérieux. »
L’exception de parodie trouvait donc à s’appliquer.
L’affaire Che Guevara (CA Versailles, 7 septembre 2018, n°16/08909) :
Les ayants droit du photographe Alberto Korda, auteur d’une célèbre photographie d’Ernesto Guevara prise en 1960 (à gauche ci-dessous), avait assigné en contrefaçon une société qui commercialisait un t-shirt détournant cette image culte (à droite ci-dessous).
Pour les juges saisis :
- « le Che tient une manette de jeux vidéo qui est également accompagnée d’une inscription « Che was a gamer » juste en dessous du buste ; […] ces adjonctions constituent des modifications destinées à démarquer la reproduction critiquée de la photographie originale », et « excluent ainsi tout risque de confusion possible avec celle-ci » ;
- « le décalage existant entre la figure du révolutionnaire photographiée par Korda et la reproduction litigieuse participe des lois du genre de la parodie sans dénaturer ni ridiculiser l’œuvre initiale et dans le seul but de faire sourire ».
En conséquence, aucune atteinte aux droits moraux ou patrimoniaux de l’auteur et de ses ayants droit ne pouvait être caractérisée. L’exception de parodie trouvait bien à s’appliquer.
On comprendra que bien souvent, la frontière entre l’acte de contrefaçon et l’exception de parodie sera bien mince.
Dans tous les cas, le pasticheur devra veiller à ce que sa démarche ne soit pas uniquement guidée par la volonté de tirer profit de la notoriété de l’œuvre détournée, au risque d’être condamné sur un autre fondement : le parasitisme.