Tribunal judiciaire de Chambéry, 15 septembre 2022, n° 19/01427
Dans une décision du 15 septembre 2022, une juridiction a ordonné à Google de procéder au retrait d’une page « Google My Business » (GMB) ayant pour objet un professionnel qui n’avait pas consenti à l’usage de ses données personnelles.
Les fiches d’établissement proposées par le moteur de recherche de Google permettent d’améliorer la visibilité des professionnels et de fournir aux internautes des informations diverses sur leurs activités : numéro de téléphone, horaires d’ouverture, photos, avis, lien vers le site web…
La création de ces fiches n’est pas toujours le fait des professionnels eux-mêmes, qui peuvent découvrir leur existence au hasard d’une recherche Google et sans avoir préalablement consenti à leur mise en ligne.
Ceci a conduit de nombreux requérants, depuis plusieurs années, a intenté des actions contre le groupe américain afin d’obtenir le retrait des fiches dont ils faisaient l’objet, invoquant généralement la violation des dispositions du RGPD (Règlement Général sur la Protection des Données).
Certaines juridictions ont pu estimer que Google ne violait aucune des règles relatives au droit de la protection des données à caractère personnel en générant une fiche professionnelle sans autorisation du ou des concernés (TJ Paris, 9 mars 2021, n° 18/05918). Pour cela, il avait notamment été retenu que :
- le droit à la protection des données à caractère personnel n’est pas absolu et doit être mis en balance avec d’autres principes fondamentaux, comme la liberté d’expression et d’information ;
- les données du professionnel ne sont pas utilisées à des fins commerciales (ce qui aurait ouvert la possibilité pour le concerné d’exercer son droit d’opposition : art. 21 § 2 du RGPD) mais uniquement pour informer les internautes.
Dans une affaire récente, une juridiction de première instance est allée à rebours de cette analyse.
En l’espèce, une dentiste avait découvert l’existence d’une fiche Google My Business à son nom.
Elle a assigné la société Google pour en obtenir le retrait de cette page, invoquant une traitement illicite de ses données personnelles.
Le débat portait en grande partie sur la finalité de l’exploitation des données, finalité commerciale selon la demanderesse ou finalité informative selon Google (auquel cas il existerait un « intérêt légitime » à la diffusion des fiches, ne nécessitant aucun consentement du professionnel).
Pour la juridiction, « si la diffusion de la seule fiche du professionnel poursuit en effet un caractère informatif, la diffusion combinée de la fiche et des avis constitue le moyen pour les sociétés Google d’inciter fortement les professionnels à recourir à ses services, qu’ils soient gratuits ou payants. C’est dès lors de mauvaise foi que les défenderesses prétendent que le traitement réalisé dans le cadre de la publication de la fiche entreprise est décorrélé des actes de prospection commerciale auxquels elles se livrent ».
Le Tribunal considère en effet que les sociétés Google profitent directement de ces fiches, dont l’exploitation est intimement liée aux activités publicitaires du groupe, basées notamment sur la possibilité d’améliorer les avis Google et la visibilité des entreprises.
Le tribunal souligne par ailleurs que le « droit à l’information » invoqué par Google implique que ladite information soit fiable et vérifiable, ce qui n’est pas le cas puisque Google n’a pas mis en place de mesures permettant d’identifier la source de l’information et de vérifier sa fiabilité.
En conséquence, selon la juridiction saisie, « il existe un déséquilibre patent entre le professionnel et l’utilisateur du service » et « l’incidence pour le professionnel concerné peut être importante ».
Google ne justifie donc pas de l’intérêt légitime qu’elle invoque, et qui lui permettrait de ne pas solliciter le consentement du professionnel objet de la fiche GoogleMyBusiness.
La société Google a ainsi été condamnée à supprimer la fiche Google My Business de la dentiste sous astreinte de 100 euros par jour de retard et à lui verser une somme de 20 000 euros en réparation de son préjudice moral, outre 20 000 euros supplémentaires au titre des frais irrépétibles exposés dans le cadre du procès (notamment ses frais d’avocat).
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