Photographie : la liberté d’expression peut primer sur le droit d’auteur

Dans une décision du 31 mars 2022, le Tribunal judiciaire de Nanterre a rejeté les demandes d’un photographe tendant à la condamnation d’une société qui avait reproduit sans autorisation une photographie de l’actrice du film « Emmanuelle » (Sylvia Kristel) à l’occasion de son décès. Ce rejet a notamment été motivé par le principe de liberté d’expression.

Les faits d’espèce

En 2012, le site staragora.com publiait un article au sujet de la mort de l’actrice vedette du film « Emmanuelle ».

Pour illustrer cet article, une photographie de la jaquette du film était mise en ligne.

En 2019, le photographe à l’origine de ce cliché assignait la société éditrice du site en contrefaçon de droit d’auteur au motif qu’il n’avait pas autorisé cet usage.

La solution retenue : liberté d’expression et atteinte minime aux droits de propriété intellectuelle

Au terme d’un long développement juridique, le Tribunal a eu l’occasion de justifier le rejet des demandes du photographe.

Était notamment invoqué par la défenderesse l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (CESDH) qui dispose que toute personne a droit à la liberté d’expression, d’opinion et de communiquer des informations.

Ces libertés peuvent toutefois être limitées et soumises à certaines conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi (il en est ainsi par exemple du nécessaire respect des droits de propriété intellectuelle).

Examinant les faits reprochés, le tribunal relève qu’en l’espèce :

  • l’article et sa photo n’ont été consultés que 76 fois en 6 ans;
  • l’article rapporte le décès, survenu la veille, d’une actrice de renommée internationale et rendue célèbre par le film dont la jaquette était ici reproduite ;
  • le cliché était en adéquation parfaite avec le contenu de l’article, qui évoquait le film « Emmanuelle »;
  • l’utilisation de l’image était conforme aux autorisations accordées au producteur du film puisqu’elle illustre un article sur son actrice principale : le film était ainsi identifié et promu par l’article;
  • l’utilisation de la photographie n’est pas dégradante;
  • l’utilisation de la photographie avait cessé et était particulièrement ancienne (plus de 6 ans).

En conséquence, pour le tribunal, l’atteinte aux droits de propriété intellectuelle du photographe était minime.

Ainsi, même si l’information portée à la connaissance du public n’est pas d’une importance majeure, « l’intensité de l’atteinte au droit d’auteur [du photographe] est à ce point faible que la restriction à l’exercice de la liberté d’expression […] qu’engendrerait une condamnation ne se justifie par aucun besoin social impérieux. »

Pour le Tribunal, c’est le somme des circonstances entourant l’utilisation de l’image qui permet de rejeter les demandes indemnitaires du photographe.

Dès lors que la publication portait sur un fait d’actualité (légitime information du public), que cette utilisation n’entravait pas la libre exploitation de l’image, que celle-ci n’était pas dévalorisée, que son utilisation était en adéquation avec le contenu de l’article et conforme aux usages en matière d’évocation des films et des carrières d’artistes, que l’utilisation était de faible ampleur et les faits anciens, la condamnation de l’éditeur du site au paiement de dommages et intérêts « ne se réclamerait d’aucune nécessité, ne répondrait pas à un besoin social impérieux de protection du droit d’auteur, constituerait une atteinte disproportionnée à sa liberté d’expression et serait, partant, contraire à l’article 10 de la CESDH. »

Toutes les demandes du photographe ont donc été rejetées.